Mes silences
Les plus grandes et profondes souffrances sont tues et il suffit d’une situation, d’un mot pour les mettre en éveil, réveiller en nous ce démon qui nous ronge et pollue notre moi intérieur. La plus grande partie de ma vie, j’ai tu mon malaise, ce mal qui comme un cancer grignote mon existence. Ces silences qui peuvent être interprétés comme des mensonges ont toujours été pour protéger ceux que j’aimais.
J’ai grandi et survécu et me suis construite tant bien que mal dans ce silence bien à l’abri d’une mère aimante que je ne voulais surtout pas éclabousser par les maux qui m’ont accompagnée depuis mon plus jeune âge. Les maux induits par la violence d’un père, je devrais plutôt dire d’un géniteur qui vomissait sur sa fille de 3 ans son propre malaise sous forme de coups, d’insultes et d’humiliations et qui menaçait son enfant de réserver le même sort à sa mère si elle osait en parler. Alors très tôt, j’ai appris à me taire pour protéger le plus beau des cadeaux que la vie m’ait offerts : ma maman.
J’ai grandi et forgé mon caractère dans ce silence comme un refuge pour oublier les blessures et les coups. Souvent, j’ai essayé de briser ce mur, mettre des mots sur les maux afin de détruire les incompréhensions qui pouvaient s’immiscer dans ma vie avec mon entourage. J’ai livré une partie de cette souffrance pour me délester d’un poids qui m’empêchait d’avancer. Mais je n’ai libéré que le haut de l’iceberg, cette violence qui m’habitait et que j’abhorrais. Cette partie de moi qui n’était pas moi qui n’était que le reflet de cet homme que j’avais toujours eu en horreur. J’ai pansé certaines blessures en rompant une partie de ce silence en mettant des mots sur l’inacceptable. La petite fille coupable est devenue une victime. Aujourd’hui, j’ai appris à comprendre les mécanismes psychologiques qui ont conduit ce géniteur vers l’enfer de la maltraitance. J’ai compris, mais je ne peux pardonner l’intolérable.
Ce silence dans lequel je me suis réfugiée et qui encore aujourd’hui m’accompagne est à la fois mon plus grand ami et mon plus féroce ennemi. Un ami, car il m’a permis de survivre et de traverser l’existence sans tomber dans les travers pervers de l’alcool ou de la drogue et d’avancer, de faire semblant, de donner le change sur un bienêtre chancelant. Et un ennemi qui garde les blessures bien profondément en moi, gardien du temple des secrets qui détruisent à petit feu qui piétinent le bonheur qui se présente à la porte de l’existence, gardien des mots libérateurs qui refusent de naitre. Ne vous y trompez pas ces silences ne sont que des mensonges pour moi-même et non pour les Êtres que j’aime et que je respecte.
Anne
Illustrations du peintre Magrit